L'ECONOMISTE

 

Un Rêve de Réalité


Le sujet de la pièce est la nature de l'Homme, telle que les comédiens, du Roy Hart Théâtre la ressentent, on peut l'apprécier simplement comme un rêve, un tableau impressionniste, un ballet ou une comédie musicale; mais pour ceux qui préfèrent en approfondir la signification cette pièce se prête à une analyse fructueuse.

Cet essai est un exemple du voyage d'une personne dans une telle analyse et ne prétend pas être la seule interprétation, L'Economiste est au delà d'une interprétation unique, mais il contient cependant l'invitation à éduquer notre sensibilité.

La pièce présente donc la condition humaine: chaque être humain est une masse de personnalités qui luttent pour trouver leur équilibre dans un même corps et il faut mener cette lutte personnelle tout en vivant parmi d'autres êtres humains également en lutte. C'est seulement quand on atteint l'équilibre entre les nombreuses personnalités intérieures qu'on peut prétendre au titre d'individu. Très peu de gens y réussissent. L'Economiste montre la façon dont Flora et Maurice arrivent lentement et douloureusement à ce point d'équilibre, en passant par des paysages de l'esprit ou, d'une manière significative, les frontières entre 'rêve' et 'réalité' sont indéfinies.

Avant d'entrer dans l'action de la pièce, il serait utile d'esquisser la signification des personnages principaux.

Flora. Elle représente une qualité humaine inestimable, que peu "de gens possèdent: l'intelligence fondamentale, généreuse et courageuse, qui rend un être humain éducable et transformable. D'abord elle est pleine d'idées fausses. Elle considère Maurice comme un être adorable, mais qui échappe à la réalité, qui perd son temps à rêver à des "jardins" et à des "ruisseaux riants", alors que d'autres vivent une vie pratique, utile. Pourtant, dès le début, son instinct 'éducable' plus profond perçoit en lui quelque chose d'étrangement inexplicable.

Maurice. Il représente l'artiste intuitif dans l'Homme, considéré par les autres comme un inadapté ou un idiot quand il commence à tâtonner vers la sagesse;mais comme il est un animal sain, pourvu d'un bon rapport avec l'intelligence de son corps, il peut alors appliquer et entraîner son esprit vers une collaboration harmonieuse avec son corps, grâce à la célèbre méthode qui mène au génie: "une capacité infinie de se donner beaucoup de mal". Son attachement tenace à ce que dicte son oreille interne le mène à une position forte, rayonnante et capable de commander. C'est cet aspect de l'homme qui est prêt à braver le ridicule afin d'étudier la politique, la religion, et les rapports sociaux, en commençant par l'étude de soi, puis, parcequ'il a confronté ses appétits, ses instincts anti-sociaux et meurtriers, il est plus conscient que d'autres, de l'existence des forces malfaisantes dans le monde, et de comment les traiter. Il sait qu'il faudra peut-être les confronter chaque jour, et il n'a pas peur, ou au moins il maîtrise sa peur.

Selon l'histoire, c'est un poète, qui a persuadé Flora de quitter sa famille bourgeoise pour vivre avec lui au café, où il semble que Flora travaille pour gagner sa vie en chantant et en faisant la service, pendant que Maurice passe son temps à contempler, et à explorer sa voix avec l'absence totale de préconceptions qu'on trouve chez les petits enfants.

Les Clients. Hommes moyens et Femmes moyennes, plus ou moins ignorants et instables sur le plan émotionnel. Mais à un niveau plus profond, ils représentent le champ de vie que Flora attire, et on les voit changer d'atmosphère et de fonctions au fur et à mesure que Flora traverse le processus de transformation – processus qu'on appelle généralement "dépression-nerveuse", "breakdown", et qu'il vaudrait mieux appeler dans-ce-cas: "impression" ou "breakup". Par exemple, le comportement dès clients à l'acte III est totalement différent de l'acte I.

Lès Hommes Masqués, représentent les forces de l'inconscient qui peuvent s'emparer des corps de tels hommes et femmes moyens, et les forcer à se conduire comme une masse hystérique ou vindicative. Aussi chaque fois que Flora parle de manière inconsciente ou dangereuse, qu'elle montre un manque d'attention et d'amour, les "Apaches'' inconscients qui l'entourent deviennent une menace de plus en plus réelle. C'est pourquoi les hommes masqués prennent possession des clients, età l'acte II ils se révèlent comme la même force maligne qui possède la famille de Flora et les amis mondains. Comme dans un rêve, les personnages changent et dérivent les uns des autres, selon une réalité psychique

La Famille et les Amis Mondains sont presque évidents en soi, et montrent les valeurs étouffantes, qui refusent la vie qui engourdissent le développement psychique, naturel d'un être humain, et qui nous entourent généralement tous pendant nos années de formation.

Justine est une manifestation d'équilibre psychique. "La balance navigue entre l'ombré et la lumière." Elle est les quatre aspects ou visages du psychisme - féminité positive et négative, masculinité positive et négative; et ces aspects se manifestent de plus en plus clairement dans la pièce au fur et à mesure que Flora se rapproche de son point d'équilibre. C'est pourquoi à différents moments, elle est représentée par deux femmes et deux hommes. Elle est la contrepartie féminine de Maurice; elle avance vers la sagesse selon une route différente par un mélange d'intuition féminine et d'expériences vécues, survécues.

Selon l'histoire de la pièce, elle était servante dans la famille de Flora, et a vu Flora grandir depuis son enfance. En tant que servante, son entraînement vers la sagesse lui a été imposé, tandis que Maurice a choisi, consciemment et volontairement de se discipliner dans la voie de là sagesse. En tant que servante, il lui a fallu mourir chaque jour bien des morts de sa propre volonté. Elle devient de plus en plus visiblement un symbole dans la pièce; elle est au centre de toute métamorphose. Elle représente le fait que beaucoup d'êtres humains, après avoir pris conscience de leur nature fondamentale, se rendent compte qu'il leur faut servir de symbole, de centre pour les autres comme le soleil entouré par les étoiles. Ils sont alors prêts à sacrifier leur force naturelle d'expression, afin d'incarner pour d'autres le symbole de prêtre, de bouc émissaire, fou, brebis galeuse ou même débauché. Ces gens là se sont préparés, chaque fois qu'il le fallait, à jouer consciemment le rôle qu'ils considéraient nécessaire afin de garder la société en équilibre. Dans la pièce on voit Justine jouer beaucoup de rôles différentes; et ceux parmi lesquels elle évolue ne soupçonnent que rarement sa vraie profondeur.

Le Technarque. Sa signification peut, à première vue, sembler grossièrement évidente. Il représente l'obsession actuelle de la technologie; et la poupée mécanique difforme qui se suspend à chacune de ses paroles avec une admiration gâteuse caricature le genre de femme avec qui ce type d'homme se trouve en général. Mais, cette femme est un rôle que Justine a consciemment choisi de jouer, avant le moment où Flora deviendra suffisamment intégrée psychiquement pour que Justine puisse se manifester sous ses quatre aspects. L'action de Justine à travers ce personnage représente un aspect du génie de Maurice, du génie en puissance de Flora, et du génie en puissance de chacun; c'est à dire que l'imitation servile et mécanique, le fait de se conduire en imbécile pour l'amour de la sagesse, la discipline de soumission totale, peuvent mener au chemin de la sagesse et de la liberté de création individuelle.

Le Pianiste et l'Orchestre. Maurice, Justine et le pianiste symbolisent tous à leur manière une intégration consciente. On sent que le pianiste est une sorte de disciple ou d'allié de Maurice. Il montre au début de la pièce qu'il est capable non seulement d'être pianiste, mais aussi chanteur soliste de grande virtuosité; et pourtant il choisit de jouer le rôle d'accompagnateur, qui lui fait à peine utiliser sa voix, mais est une force d'unité créative dans toute la pièce. Il représente l'équilibre entre expérience intérieure et manifestation extérieure. Il a souvent l'air de provoquer les changements d'humeur dans l'atmosphère du café. Il écoute, il aide à faire ressortir l'expression d'émotions qu'il sent emprisonnées et cachées dans les individus qui l'entourent. Il mène l'orchestre à donner une image sonore du monde intérieur. Il dit en musique sa philosophie; que le plus grand talent artistique consiste à savoir servir un orchestre, construire avec d'autres une expression de soi équilibrée. Il est le sens d'équilibre artistique de Maurice comme Justine représente son équilibre émotionnel.

Tous les personnages sont des aspects de Maurice, homme conscient, ils sont tous une manifestation de son rêve, le rêve de Roy Hart. Car Roy Hart sait que chacun des membres de la troupe qui a grandi autour de lui, autour de sa recherche personnelle d'identité totale à travers l'exploration de sa voix - chacun des membres de ce théâtre est un aspect précieux de lui même, qui est avec lui par nécessité psychique et non pas par hasard.

L 'Action

La première image présentée sur la scène est celle d'un jeune homme assis seul au piano. Il ouvre la pièce en manifestant vocalement la mesure dans laquelle il a trouvé en lui même l'équilibre entre archétypes communs du caractère humain pris dans "La Flûte Ènchanté" de Mozart - Zarastro et la Reine de la Nuit étant les deux extrêmes; et sa seule voix couvre les registres de soprane, contralte, ténor et basse. Il présente également une relation équilibrée entre l'emploi de son corps en tant qu'instrument, et l'utilisation qu'il fait d'un instrument extérieur; le piano, en tant que projection, extension de lui même. On verra plus tard que sa présence énigmatique influence l'action de toute la pièce.

De l'image de ce personnage seul avec ses possibilités infinies, la scène se transforme tout à coup. C'est le café de Flora où les clients sont d'humeur contemplative. Roy Hart dit le prologue pour chaque individu membre de sa troupe, avant qu'ils n'apparaissent eux mêmes en scène :

"Chaque individu est indispensable
irrem – pla - ça - ble
Chaque individu dans l'individu est indispensable
irrem - pla - ça - ble
l'individu précondition
l'être d'avant le jour
On ne peut s'en débarasser
Combien de fois j'ai tenté
de me défaire
de la chair et du sang
des viscères gémissants
de mon corps
les autres et moi
les autres par rapport à moi
c'est le seul fait terrible
que je connaisse
parce qu'il signifie que
tout ce que je suis
affectera la santé
ou le mal-être de la terre
cela signifie que je suis
alternativement
une lueur d'espoir
ou de désespérance
dans cet espace
rue, champs, espace, espace
nous individus
nous parlons à nous mêmes
à vous
en tant qu'individus
dans l'espoir
d'allumer en vous
le feu
de l'espoir."

Chacun de ces acteurs s'attache au thème du prologue avec une intensité née de l'expérience quotidienne de vivre et de travailler ensemble (sur scène et hors scène). Chaque acteur ne cesse de découvrir les nombreuses personnes en lui, dont certaines vivent à travers lui comme des fantômes des siècles passés, qui lui font souvent faire des choses que le 'je' qui pense détesté et regrette. Le 'je' penseur, qui n'a pas encore appris à contrôler les fausses émotions qui vivent de force à travers lui, est tout d'abord horrifié par leur inadaptation, en tant que forces créatives, aux conditions surpeuplées dans lesquelles il nous faut apprendre à vivre aujourd'hui.

Ce fait est illustré dans le déroulement du premier acte: les clients du café reflètent la lutte de Flora qui cherche à échapper à la façon de se conduire d'une femme prise dans l'histoire des générations passées de concubines en compétition pour une place dans un monde masculin. On voit que les clients permettent peu à peu d'étranges forces anciennes de vivre à travers eux, de déformer leurs corps en images du passé, jusqu'à ce que leurs visages prennent un masque de gargouille qui n'appartient pas à leurs corps. Division caractéristique de la tragédie humaine actuelle.

Le premier acte commence dans un café pratiquement vide. Il y a une atmosphère d'isolement, l'isolement de gens qui vivent dans des mondes différents, et qui n'ont pas encore appris à communiquer les uns avec les autres.

Flora, appelle; "Ouvre un oeuil Maurice, sors de ta contemplation.» Elle ne se rend pas compte que Maurice a l'air de perdre son temps à dormir, mais qu'en fait il est en train de pénétrer un monde de valeur. Au fond, le premier acte met en scène le fait que Flora ne comprend pas vraiment Maurice, et montre les dangers qu'elle invite inconsciemment. La personnalité dynamique de Flora est en train d'atteindre le moment critique de conflit en elle même, et la force de cette expérience attire vers elle d'autres exemples de relations manquées ou difformes.

Flora dit a Maurice de se réveiller; il est temps qu'il lui permette de lui montrer le monde tel qu'il est vraiment, pour qu'il comprenne. L'arrogance inconsciente de ces paroles est évidente. Quand Maurice commence à exprimer quelques unes de ses pensée... « ma définition de la musique, c'est l'individu", "quand on a peur d'être dirigé, on risque de ne jamais devenir un individu", on a l'impression qu'il parle à lui même, parce qu'il sait qu'elle ne veut pas vraiment écouter ce qu'il a à dire.

Flora fait une autre erreur de communication en essayant d'expliquer Maurice aux clients. II est impossible d'expliquer un homme comme Maurice, ou comme tout être humain, avant d'avoir aperçu en soi une certaine compréhension de la nature humaine et les clients sont encore moins capables que Flora de comprendre Maurice. Elle est agitée par son souci de satisfaire les clients, au lieu de rester calme, sachant que son talent est évident. Au fond, elle est tellement peu sûre d'elle même de manière profondément physique, que sa fausse sexualité attire la sexualité faussée. Le premier exemple en est l'approche du Technarque: "Flora, écoute! Cet endroit n'est pas assez bien pour toi - viens avec moi, je suis riche..."

Flora le repousse et se lance dans, sa première chanson avec le genre d'énergie que ressent une fille incertaine d'elle même quand elle vient d'être accostée par un homme de cette façon. Mais en chantant elle commence à se sentir mieux dans sa peau, à établir ce qu'elle est vraiment et la raison pour laquelle Maurice l'aime et croit en elle devient claire. Quand elle commence à se rendre compte de l'effet qu'elle a sur les gens, elle est déchirée par sa timidité, sa surprise en voyant qu'elle peut attirer un public, et un élan de cruauté envers la seule personne qui l'aime sincèrement. Et elle commence tout de suite à utiliser ce sens de sa propre puissance injustement, en traitant Maurice comme un enfant indolent, quoique sympathique.

Flora commence à avoir l'air d'être contente, comme si tout se passait bien comme il faut; mais Maurice le visionnaire sait que tout ne va pas bien. Il lui raconte un rêve qu'il dit avoir fait, et qui donne aussi une image très claire des expériences et des mises au point psychologiques que Flora va devoir faire pour que sa relation avec Maurice prenne un sens véritable.

Flora commence à prendre conscience d'une certaine tension effrayante dans l'atmosphère du café, et elle est obsédée par ses tentatives de divertir les clients avec ses chansons pour dissiper cette peur étrange. Son énergie nerveuse et inégale provoque des manifestations sinistres d'énergie autour d'elle: des alliés subtils, frénétiques, dangereux, équivoques forment une orchestration derrière son dialogue avec Maurice. Elle se montre incapable de vivre contente dans le présent; mais elle désire l'inconnu, le quelque chose de mieux: "nous aurions pu faire autre chose", "tu aurais pu être...", "on ira faire un tour dans les magasins". Elle remarque à peine l'amour de Maurice pour elle et n'y croit guère. C'est lui le réaliste qui aime être où il est et avec qui il est. "Je préfère pour le moment la poussière des poutres, l'odeur des murs, ton odeur, Malérargues." Le caractère superficiel de Flora se heurte au caractère profond de Maurice, et elle commence à récriminer. On voit qu'elle est snob dans sa prétendue impression d'avoir perdu quelque chose en quittant sa famille 'bien'. La querelle monte et attire une querelle d'amants encore pire, comme une sorte d'avertissement.

Une scène de violence éclate soudain entre un mari et sa femme, et dans le café le temps s'arrête quelques instants, temps de réflexion. Les voilà, l'homme et la femme, le visage déformé par la haine: et maintenant Flora a vraiment peur, car elle sent que le cauchemar de Maurice commence à se réaliser. Maurice joue le rôle de la haine qu'il ne ressent pas, et met consciemment un masque; elle l'accuse alors de l'effrayer par ce geste, inconsciente des graines de destruction qu'elle vient de semer elle même, en se plaignants: "Maurice, j'ai des varices, j'ai des seins qui rapetissent." A ce moment là, Justine parait pour la première fois, comme conjurée par la foi de Maurice dans l'harmonie de sa relation fondamentale avec Flora. Justine marche doucement entre Maurice et Flora au moment où Maurice dit: "A l'âge de cinquante ans on a le visage et les varices qu'on mérite. Personne jamais ne nous séparera, ni rêves, ni phantasmes - seul le sexe sépare, l'esprit unit."

Justine manifeste l'équilibre, l'esprit d'amour intégré capable d'unir Maurice et Flora, et qui les unira plus tard dans la pièce. Mais Flora ne la voit pas vraiment, car elle est prisonnière dans son monde sexuel, dans la guerre des sexes. Son obstination à ne pas comprendre Maurice n'est pas encore prête à se transformer. Elle reprend son rôle de Dalila et tente Maurice en voulant lui faire changer d'avis, et Justine se retire tristement. Maurice est un être qu'on ne peut séduire, car ni le plaisir pornographique, ni le succès matériel ne l'intéressent, et il n'a pas l'intention d'apaiser ni de divertir les clients inconscients.

Flora, incapable de voir Justine dit maintenant l'impardonnable; "Je reste, si tu joues." Elle utilise le fait que Maurice l'aime comme une arme de chantage émotionnel. Dès qu'elle a prononcé ces paroles elle les regrette, mais trop tard. Elle vient d'attirer la pire de toutes les vipères, le cynique, l'anti-artiste qui au nom de l'amour de la famille refuse à l'artiste son droit à la liberté de création. Ces hommes masqués sont une manifestation extérieure de la distortion interne qui force les gens dits civilisés à essayer de renier et de tuer l'esprit même qui a ennobli l'humanité. Maurice sait que ces forces vont le séparer de Flora. Il avait prévenu Flora bien des fois, mais il savait qu'elle ne pouvait pas entendre ses avertissements; c'est pourquoi il accepte ce mouvement inévitable qu'il croit capable de les réunir de nouveau; il maintient calmement sa foi dans la valeur fondamentale de Flora: "Enfin c'est toi ma vraie Flora ... Il n'y a rien au monde que l'être en mouvement, ses joies et ses doutes, ses décisions et ses visions. L'action bouleverse le destin. La balance navigue entre l'ombre et la lumière. L'acte de jeu pur est mensonge. L'héroïsme c'est d'être sincère en ces temps d'ombres sournoises et de lumière perdue. Agir. Jouer. Vivre..."

Les hommes masqués ne peuvent pas le toucher - il est en paix avec son inconscient, mais ils ont le pouvoir de le tenir prisonnier loin de Flora. L'acte se termine quand Flora, accablée par ces puissances, trouve sa vraie voix pour la première fois, une voix qui appelle Maurice des profondeurs de tout son être. Le son de cette nouvelle voix doit rappeler à son oreille intuitive beaucoup de sons qu'elle a entendu, sans les comprendre, Maurice faire auparavant. C'est un processus de transformation que Flora vient de commencer.

Le deuxième acte s'ouvre avec le même cri. En termes de psychologie, les forces de l'inconscient qui ont provoqué la dépression nerveuse de Flora trouvent leur origine dans les valeurs fausses et étouffantes de sa propre famille et des amis mondains; car les gens du café, les hommes masqués et le cercle de famille sont tous liés, c'est le même serpent qui change de peau. "Il faut fermer les fenêtres éviter les courants d'air, les courants de pensées... en faire une fille comme les autres." Ce sabbat de sorcières a la prétention de 'réhabiliter' Flora dans le monde normal en traitant au moyen de rituels externes les signes étranges de déviation sociale qu'ils voient en elle. "En notre siècle de technique il faut remonter aux sources, la marier pour sauvegarder la famille; la cuisine, la couture, le tricot, de saines occupations, le sport, la danse, la télévision. »

Seule Justine sait que ce qui se passe vraiment en Flora est une transformation intérieure, un processus d'individualisation. En termes de psychologie, Flora est en train de racheter ses projections, et Justine l'entend dans les premiers sons que pousse Flora. Dans l'angoisse de son âme, Flora découvre à travers ses sons le Maurice en elle, le côté sombre, inconnu, subversif que les amis mondains tentent de supprimer. On a pû remarquer dans le premier acte, à la façon dont ils se sont regardés, que Maurice et Justine se connaissent profondément. Justine est la première à entendre la voix de Maurice au deuxième acte, parce qu'elle sait qu'il est là et qu'il attend. Elle a l'air d'être avec la famille et de partager ses rites, mais elle a un point de vue très différent de cette purification en cours. Elle suit tous les sons de Flora avec l'ouïe fine de la sagesse, avec son talent pour le diagnostique spirituel. Comme une sage-femme attentive, elle protège la jeune femme dans les douleurs de l'enfantement, et écarte la famille dangereusement hystérique.

Justine est éducatrice, et elle sait que tous les souhaits hypothétiques que Flora a exprimé au premier acte vont être mis à l'épreuve. Flora prétendait avoir fait un sacrifice en quittant le confort de sa famille pour vivre avec Maurice. Quand sa famille la récupère, elle commence à se rendre compte qu'elle préférerait être avec Maurice. Elle désirait mener une vie d'utilité, avoir un métier en accord avec l'âge technologique, elle voulait un mari capable de gagner sa vie. Et Justine prépare à recevoir un prince charmant de ce genre, le technarque "II va venir, le chevalier, le prince charmant, l'amant technarque."

Quand Flora se trouve réellement en présence de l'objet de son rêve cérébral, le technarque, elle le trouve ridicule, et finalement tragique de manière douloureuse, parce qu'elle est alors devenue suffisamment sensible aux valeurs humaines pour se rendre compte du fait qu'un contact chaleureux donne un coup mortel à un tel homme. Elle apprend cette leçon qu'à différents moments de sa vie, pour maintenir certaines valeurs, on est forcé d'en tuer d'autres, et il faut avoir la force de voir la souffrance que cela cause.

Il se vante; "Mon univers est un trésor d'horlogerie sans défaillance", et c'est à ce moment précis que son monde commence à s'émietter.

Au cours du deuxième et troisième acte, Justine est d'abord d'un côté, puis de l'autre selon ce qui est nécessaire pour maintenir l'équilibre. Quand la famille et les amis mondains veulent fuir, après avoir vu leur héro le technarque mourir, Justine essaye de les regrouper. Tout l'ancien champ vital de Flora est en train de se désintégrer, et Justine avait pris part à cette vie pendant de longues années . Elle est trop sage pour désirer aider cette destruction sans commencer par essayer d'extraire le meilleur de ce passé. Elle fait appel au code de l'honneur qu'elle avait vu la famille suivre dans les temps meilleurs:"Ne fuyez pas." S'ils avaient été capables de s'élever au dessus d'eux mêmes, elle serait prête à continuer à les servir. "Tout recommencera, vous verrez, et moi je vous servirai soumise, mélancolique, sans récriminer." S'ils avaient une étincelle de courage et de foi pour continuer à travers la période douloureuse de transformation, elle serait prête aies soutenir. Mais c'est leur lâcheté qui gagne, et Justine doit poursuivre son chemin à elle.

D'après l'histoire de la pièce, Justine est maintenant seule avec sa liberté, seule à choisir ce qu'elle va en faire, comme elle voit ses maîtres s'enfuir. Elle ne pense qu'à Flora, la seule personne dans sa vie, dont la rébellion contre la façon de vivre de sa famille révèle un sens des valeurs en accord avec celui dont Justine a besoin. Elle choisit de chercher, morte ou vivante, la seule personne, le seul individu avec lequel elle est apparentée, comme un lien entre son ancienne vie de servante, et son avenir. Flora est attirée par Justine, parce que Justine sait que Flora est éducable et qu'elle, Justine sait, peut avancer cette éducation. Elle a encore du travail à faire pour la vie. En termes de psychologie, il s'est passé quelque chose en Flora qui permet à Justine de se révéler un peu plus.

Jusqu'à présent, nous n'avons vu que ses deux aspects féminins; quand Flora réussit à accomplir la tâche difficile et masculine de choisir de refuser le technarque, de prendre une décision pleine d'anxiété et de conséquences pénibles, les qualités masculines et féminines de Flora se manifestent alors de manière créative. Elle est à la fois ferme et tendre au bon moment, pour de bonnes raisons. Et sachant cela, Justine doit maintenant aider Flora à se manifester encore plus clairement. Justine rentre en elle même pour se préparer à rencontrer Flora, et elle chante:

"Le temps à goût d'éternité
Au bord de ta rivière
Le temps de mes années de désir
et d'espoir et de malice
Qui m'a appris le chant d'amour ?
Ce chant qui me déchire ...
Dans chacune de mes cellules
Chante une étoile
Car l'image
De mon amour perdu
Se retrouve
Et fleurit en moi
Flora. Flora.”

La rivière mentionnée si souvent dans toute la pièce est la rivière de la vie consciente. Elle coule sans cesse à travers le monde mais il n'est donné qu'à peu de gens de se tenir au bord de cette frontière entre le conscient et l'inconscient en sachant que la rivière est là. C'est l'endroit où deux individus peuvent savoir comment se rencontrer et se comprendre.

Justine appelle Flora pour lui faire passer la dernière épreuve: Est-ce qu'elle est pour ou contre la vie? Est-ce qu'elle veut vraiment s'échapper vers l'inconnu, vers une sorte de nirvana vague de son imagination, en vivant une vie pleine de doutes et de mécontentement qui minent sa capacité de se consacrer entièrement au présent? "Une barque pour fuir" est ce qu'elle demandait au premier acte, l'occasion d'échapper seule avec Maurice. Justine offre consciemment à Flora la possibilité de réaliser ce souhait, mais elle ajoute que pour atteindre cette terre inconnue où il n'y a pas d'angoisse, il faut partir sans Maurice. Car l'être de Maurice rend nécessaire de contenir l'anxiété, les couleurs intenses de douleur et de joie que comprend toute relation hétérosexuelle. "Je viens te mener à la découverte d'un monde inconnu."

Flora commence maintenant à reconnaître la double nature de Justine, et, en l'associant avec le rite réprimant que sa famille avait essayé de lui imposer chez elle, elle identifie Justine avec la mort seule. Flora dit qu'elle n'est pas prête à mourir, mais qu'elle veut voir le soleil de l'été une fois de plus. Dans toute la pièce, cette image semble représenter cet irrépressible je ne sais quoi qui dans tout être humain dit oui à la vie, et permet à la rivière de vie consciente de couler librement. Justine présente à Flora la tentation de se soumettre à ses peurs les plus terribles: à douter du retour de Maurice, à douter de la direction qu'elle devrait prendre. Mais Flora tient ferme, elle veut attendre au bord de la rivière, elle veut retrouver Maurice et dire oui à la foi.

La dernière tentation est quand Justine dit: "Et si Maurice ne venait pas?" Et Flora identifie l'espace d'un instant Maurice avec la vie, dit: "Je te suivrais." Justine comprend qu'il faut maintenant peindre pour Flora une image de ce que son souhait de mort implique: "Le silence, toujours le silence. Maurice n'est pas là, allons, viens, nous serons libres, tu entends, libres, nous marcherons sur les vagues de l'océan vers les rives sans angoisse." Flora se souvient des voix qui criaient au technarque au moment de sa mort: "Sans anxiété, l'humanité n'a aucune chance." Elle sait que l'image que Justine vient de peindre pour elle n'est pas ce qu'elle veut. Et au moment où elle rejette la mort, rejette toutes pensées de remplacer la vie dans le café qu'elle connaît, Maurice revient.

Même avant de voir ou entendre Maurice, Justine sait, d'après la manière dont Flora se détourne d'elle au loin et commence à s'éloigner d'elle, que Flora vient de gagner une bataille de foi en elle même, bataille pour la vie. Et à ce moment là, Maurice est libre de revenir et Justine peut partir. Mais Justine doit toujours espérer que Flora sera consciente de la nécessité de porter toujours en elle même la conscience de la mort ainsi que de la vie, et elle promet de revenir. Flora ne l'entend pas, et elle croit que quand elle reverra Justine ce sera seulement un signe de mort.

Le corps de Flora commence maintenant à se réveiller. La confiance et la foi commencent à la dominer. Voici Maurice, elle se souvient avec amour du café et tout à coup voici le café y transformé, peuplé de clients transformés, éduqués - c'est un café ou l'on respire la chaleur humaine et la compréhension. Flora a choisi de rester où elle est et transformer le café en un prison où elle peut créez un esprit de confiance chaleureuse. Elle n'a plus envie de s'échapper. Elle parle même le langage poétique de Maurice : le soleil, foi dans la vie, perce les murs aveugles du doute, de la peur, et de l'agression.

II y a une atmosphère d'équilibre et d'harmonie, et les clients parlent des différences entre le café, endroit où on découvre et on établi les valeurs, et le monde au dehors, monde de soupçons, de frayeur et de malice, de vie mal vécue, de corps vides. Au milieu de leur vie joyeuse, les gens de ce nouveau café sont conscients de la mort et dans ce moment de reconnaissance Justine reparaît clairement sous les yeux de Flora. Elle n'avait cessé d'être là, sans qu'on la remarque, dans ses quatre aspects, elle s'était mêlée aux danses les plus animées, mais Flora était incapable de la voir. Les clients autour d'elle lui ont appris quelque chose, et à la fin des danses et des réjouissances, ils retournent à une attente froide, une tranquilité, une distance qui est la petite mort naturelle qui doit avoir lieu après chaque explosion de vie. Ce n'est pas le silence glacé qui avait donné le frisson à Flora au début de la pièce la peur et la solitude cèdent maintenant la place à la compréhension du phénomène de la vie et de la mort. Flora se souvient de Justine, et à ce moment là, elle se rend compte qu'elle l'avait vue passer devant elle bien des fois parmi les danseurs.

La période de transformation vient de s'achever. L'équilibre s'est établi entre l'individu et la collectivité. Flora n'a plus besoin de vivre seule avec Maurice; elle vivra avec lui et avec les clients, dans leur café du monde, Maintenant, Justine les unit dans une cérémonie de mariage qui est à la fois une union et une garantie de liberté individuelle totale, une action qui attache et qui détache. Flora, Maurice, Justine, les clients, toute la troupe, ils sont tous finalement unis.

Dorothy Hart

 

Photo: Dorothy Hart

 

 

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